Exclusif: L’OCDE ouvre une enquête sur le WWF — une première mondiale

11 Janvier 2017

Début 2016 au Cameroun, cette fillette baka a été torturée par une brigade anti-braconnage financée par le WWF. Elle avait dix ans au moment des faits. © Survival International

Cette page a été créée en 2017 et pourrait contenir des termes à présent obsolètes.

Il s’agit d’une première mondiale: un membre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a accepté d’examiner une plainte au sujet du Fonds mondial pour la nature (WWF). Ce dernier est accusé d’avoir financé des violations des droits de l’homme au Cameroun. Jusqu’à présent, cette procédure avait été réservée aux entreprises multinationales.

Survival a soumis une plainte en février 2016, citant de nombreux exemples d’abus et de harcèlements violents à l’encontre des « Pygmées » baka par des brigades anti-braconnage au Cameroun. Ces brigades sont financées par le WWF. Survival affirme également que le WWF n’a pas cherché à obtenir le consentement libre, préalable et éclairé des communautés concernant les projets de protection de la nature sur leurs territoires ancestraux.

C’est la première fois qu’une organisation à but non lucratif est ainsi examinée. Le fait que la plainte ait été jugée recevable indique que l’OCDE soumettra le WWF aux mêmes normes quant au respect des droits de l’homme que les entreprises à but lucratif.

Le WWF finance des brigades anti-braconnage au Cameroun et ailleurs dans le bassin du Congo. Les Baka et d’autres peuples autochtones vivant dans la forêt tropicale ont signalé des abus systématiques de la part de ces brigades, y compris des arrestations, des coups, la torture et même la mort — et cela depuis bien plus de vingt ans.

Les Baka ont été expulsés de force hors de grandes parties de leur territoire ancestral. Lorsqu'ils chassent, cueillent ou se rendent sur des sites sacrés, ils sont confrontés à des brigades anti-braconnage violentes. © Survival International

En 1991, Survival a pour la première fois appelé le WWF à changer son approche dans la région. Cependant, la situation a empiré depuis.

Les Baka ont à de multiples reprises témoigné auprès de Survival au sujet des activités de ces brigades anti-braconnage dans la région. Un Baka a raconté à Survival en 2016: « [Les brigades anti-braconnage] ont frappé les enfants ainsi qu’une femme âgée avec une machette. Ma fille ne s’en est toujours pas remise. Ils l’ont forcée à s’accroupir et l’ont frappée partout — le dos, les fesses, partout, avec une machette. »

Dans deux lettres ouvertes, les Baka ont lancé des appels passionnés aux protecteurs de la nature pour demander à rester sur leur territoire. « Les projets de protection de la nature doivent avoir de la compassion pour la façon dont nous pouvons utiliser la forêt (…) parce que notre survie en dépend. »

Le WWF a réfuté les accusations de Survival. Il reconnaît que des abus ont eu lieu, mais un porte-parole a déclaré, dans un communiqué de 2015, que le nombre de ces incidents semblait avoir « diminué » — en dépit de nombreux témoignages de Baka. Dans sa réponse à l’OCDE, l’organisation cite l’instabilité politique dans la région et les difficultés à créer des « zones protégées » pour la protection de la faune sauvage comme les principales raisons pour lesquelles des violations des droits de l’homme ont eu lieu ; elle n’a pas nié son implication dans le financement, la formation ou le fait d’équiper les gardes.

Le directeur de Survival International, Stephen Corry, a déclaré : « Le fait que l’OCDE ait accepté notre plainte est un pas immense pour les peuples vulnérables. Ils peuvent déjà avoir recours aux principes directeurs de l’OCDE pour se défendre contre les entreprises qui bafouent leurs droits ; c’est néanmoins la première fois qu’on reconnaît que ces principes directeurs sont valables également pour des ONG à échelle industrielle telles que le WWF. Le travail du WWF a causé des décennies de souffrances aux peuples autochtones dans le bassin du Congo. Rien n’a été entrepris pour remédier aux inquiétudes de milliers de personnes autochtones qui ont été dépossédées et maltraitées à travers ces projets. Cela doit changer. Si le WWF n’est pas en mesure de garantir que ses projets respectent les standards de l’ONU et de l’OCDE, il ne devrait tout simplement pas les financer. Peu importe qu’il fasse un bon travail ailleurs ou non: rien ne peut excuser qu’il finance des violations des droits de l’homme. Les grandes organisations de protection de la nature doivent arrêter d’être complices dans le vol de territoires autochtones. Les peuples autochtones sont les meilleurs défenseurs de l’environnement et gardiens du monde naturel. Ils devraient être à la tête du mouvement de protection de la nature. »

De nombreux Baka sont contraints à vivre sur des bords de route. Le taux d’alcoolisme et de maladies telles que le paludisme sont montés en flèche ; leur régime alimentaire s’est fortement appauvri. © Survival International

Informations complémentaires

- L’OCDE est une organisation internationale comptant 35 membres actifs. Elle a développé les « Principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales » qui sont contrôlés dans chaque pays par des points de contact nationaux. Ces principes directeurs offrent l’une des très rares possibilités de demander des comptes aux entreprises multinationales qui ne respecteraient pas les droits des communautés concernées par leurs projets.
- Le siège de WWF International se trouvent en Suisse. C’est pourquoi Survival a déposé sa plainte auprès du point de contact suisse, le Cameroun n’étant pas membre de l’OCDE.
- En 2008, Survival International a déposé une plainte contre l’entreprise minière britannique Vedanta Resources lorsque celle-ci cherchait à extraire des ressources minières sur le territoire des Dongria Kondh en Inde sans le consentement de ces derniers. L’OCDE avait à l’époque déclaré que Vedanta avait enfreint ses principes directeurs.
- Le WWF est la plus grande organisation de protection de la nature au monde. D’après des informations fournies par l’organisation elle-même, seuls 33% de ses revenus proviennent de donateurs individuels. Le reste provient de sources telles que des subventions gouvernementales, des fondations et des entreprises.

Les peuples « pygmées », dont les Baka font partie, vivent dans les forêts tropicales du bassin du Congo depuis des millénaires. Ils sont été illégalement expulsés au nom de la protection de la nature, tandis que la déforestation, le braconnage et d’autres risques pour les espèces menacées telles que le gorille, l’éléphant de forêt et le pangolin demeurent. © Selcen Kucukustel/Atlas

Note aux rédactions : « Pygmées » est un terme couramment employé pour faire référence aux peuples chasseurs-cueilleurs du bassin du Congo et d’Afrique centrale. Ce terme a acquis une connotation péjorative et certains peuples autochtones évitent de l’utiliser. Cependant il est considéré par certains groupes comme un facteur d’identité.

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